La musique des objets
Quelle est la différence entre la musique et le bruit ? C’est une question que se posent souvent les musiciens, mais aussi les non-musiciens. Peut-on dire qu’entendre un cuisinier manipuler ses casseroles est de la musique ? Entendre des basketteurs, handballeurs jouer avec leur ballon est de la musique ? Est-ce que des feuilles de papiers, des stylos, des tuyaux d’arrosoir peuvent servir à produire de la musique ? De prime abord, nous aurions facilement tendance à dire que non. Cependant, il faut prendre en compte la notion d’intention : si je fais du bruit dans le but de faire de la musique, alors cela en devient.
Certains artistes utilisent des objets du quotidien (verres, ustensiles de cuisines, pompes à vélo, etc.) et les détournent de leur fonction première pour faire de la musique.
De la musique… mais seulement avec des objets du quotidien
Avant d’avoir un instrument de musique dans les mains, il est déjà possible de produire des sons, de faire de la musique, avec tout ce qui nous entoure. Cependant, pour la majorité, cela restera de l’ordre des percussions.
La troupe STOMP regroupe huit artistes originaires de Londres depuis 1991. Ils réalisent un impressionnant spectacle théâtral et musical mêlant des objets de la vie courante à une chorégraphie. Dans leur œuvre Brooms, on peut les découvrir avec de simples balais qu’ils exploitent pour produire toutes sortes de sonorités. Ils utilisent des jeux rythmiques comme le procédé d’imitation (jouer la même chose, mais en décalé), d’homorythmie (jouer la même chose, en même temps) et de polyrythmie (jouer deux choses différentes), ce qui permet une grande variété dans leur œuvre.
Extrait d’un spectacle de STOMP, Brooms
Multipliant les performances, on peut également découvrir la troupe à travers le clip Basketball and Kitchen, dans lequel ils exploitent une multitude de sons du quotidien (des cuillères en bois sur des batteries de casseroles, des couteaux en train de couper, l’eau qui coule du robinet, etc.
STOMP, extrait du clip Basketball and Kitchen
Dans la même idée, une pratique est devenue extrêmement populaire ces dernières années (notamment en milieu scolaire grâce à sa facilité d’exécution) : le cup song (musique au gobelet). C’est notamment avec la chanteuse Anna Kendrick et son titre Cups (When I’m Gone) que le procédé s’est développé. Elle utilise le gobelet comme accompagnement de sa chanson et joue un rythme en ostinato (même rythme répété). À la différence des artistes précédents, chez elle le gobelet n’est pas le seul instrument en plus du chant car on retrouve aussi des instruments de musique conventionnels.
Anna Kendrick, Cups
Dans un tout autre style, nous pouvons parler de l’artiste original Jacque(s), et plus particulièrement de son Phonochose, durant lequel nous le voyons réaliser pendant presque dix minutes une œuvre en direct dans le style électro avec un looper (appareil permettant d’enregistrer, diffuser et superposer des sons en direct). Ce qui est remarquable dans cette pièce, c’est que le seul instrument utilisé est le synthétiseur, et que tous les autres sons sont produits grâce à des objets du quotidien. On le voit dès le début lancer une petite toupie sur une vieille balance en métal, puis le son tourne en boucle ; agiter une feuille de papier, puis le son tourne en boucle ; et ainsi de suite.
Jacques, Phonochose #1
De vrais instruments de musique… mais à partir d’objets détournés
L’art de fabriquer un instrument de musique relève d’un grand savoir-faire et d’une grande technique, mais, avec un peu de connaissances sur leur fonctionnement, il est tout à fait possible d’en réaliser, notamment à l’aide d’objets détournés de notre quotidien. Attention, la sonorité, la justesse ne pourront égaler ceux d’un luthier de formation, mais pourront aisément produire des sons corrects !
Le principe de base d’un instrument à vent, comme les flûtes ou les clarinettes par exemple, n’est au final pas très compliqué. Ce sont des tubes, peu importe la matière, peu importe l’épaisseur, qui sont de taille plus ou moins longue. Plus le tube est long, plus il est grave ; plus le tube est court, plus il est aigu. Afin d’avoir des notes graves et aiguës en même temps, il suffit d’y faire des trous, ce qui modifiera indirectement la taille du tube car l’air sortira avant par les trous.
Avec le groupe Zic Zazou, nous découvrons neuf musiciens qui ont formé un orchestre d’instruments formé à partir d’objet détournés de leur usage premier. Voici deux versions d’une même œuvre.
Version instrumentale de l’opéra Carmen de Georges Bizet
Interprétation de cette œuvre par le groupe Zic Zazou
Dans ce deuxième extrait, nous retrouvons à peu près tous les éléments sonores du premier, mais des clés plates servent de glockenspiel, des pieds de chaises servent de flûtes, les cordes frottées du violon sont reproduites grâce à des clous sur une caisse de résonnance, la clarinette, avec un tuyau d’arrosage.
Au Paraguay, dans la ville très pauvre de Cateura, un vrai orchestre symphonique a vu le jour grâce à un groupe de jeunes désireux de pratiquer la musique. N’ayant pas d’instruments de musique et ne pouvant en acheter, ils les ont fabriqués à l’aide de déchets ménagers ou de maçonnerie. Leur aspect reste identique à l’original, seuls les matériaux de fabrication changent. Ils ont donc des trompettes fabriquées avec des tuyaux de gouttières, et leurs palettes remplacent les pistons avec des vieilles clés, les caisses de résonance des violoncelles sont fabriquées à partir de bidons d’huile, les caisses de résonance des guitares sont fabriqués avec de grosses boîtes de conserves, les clés de clarinettes avec des bouchons métalliques…
Extrait vidéo résumant le concept
Dans un autre coin du monde, d’autres musiciens ont créé un duo original à la harpe de verre. C’est un assemblage de verres à pied, de type verre à vin. Chaque verre émet une note. Il est possible de varier la taille des verres : plus il est petit, plus le son en est aigu, plus il est grand, plus le son est grave. Les sons produits peuvent également varier en fonction de la quantité d’eau versée dans le récipient. On en joue avec les doigts, et parfois avec des baguettes. Cet instrument, fait à partir d’objets du quotidien, est devenu un véritable instrument de musique virtuose, qui se joue aussi bien en solo qu’en accompagnement d’un orchestre symphonique, d’un quatuor, etc.
Astor Piazzolla, Adios Nonino
Tico-Tico no Fubà, de Zequinha de Abreu, par GlassDuo